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Interview de Sages Comme des Sauvages, un duo à découvrir absolument.

Second entretien publié sur Music Books & Poems et réalisé avec Sages Comme des Sauvages, un duo formé d'Ava Carrère et d'Ismaël Colombani. J'avais présenté ce duo en octobre dans une courte chronique "Découverte". Un peu par hasard, j'avais écouté une chanson mise en images "Brindilles a mon zenfan". Ils m'avaient alors charmé,  enthousiasmé. J'avais même écrit "ce soir, ces deux quasi-inconnus [de moi] me font encore plus aimer la chanson et la vie." Je n'ai pas changé d'avis. Et puis, comme vous pourrez le lire, ils annoncent une belle nouvelle pour 2015. Ce sera l'occasion de les retrouver avec grand plaisir dans ces pages, comme des compagnons que l'on n'a pas vus depuis longtemps mais qui sont toujours dans nos cœurs. Je n'ai qu'un seul regret, ne pas avoir encore eu le plaisir de les écouter en concert. Cela ne saurait tarder.

MB&P : Sages Comme des Sauvages, quelle est l'histoire de ce duo, quelles raisons pour ce nom ?

Ce duo est complètement fortuit. Quand nous nous sommes rencontrés, nous avions chacun nos formations musicales. Au moment de se mettre à la colle on s'est dit que ce serait pas mal de faire de la musique ensemble. Et puis très vite on est parti en vacailles (vacances-travail), ce qui revenait à financer nos vacances en tournant nos deux solos à la suite, augmentés d'une ou deux chansons à deux. Petit à petit, le répertoire commun s'est agrandi et l'an dernier on a ramené d'Athènes un bouzouki et un defi (une percussion sur cadre que jouent les gitans dans le nord du pays). C'est à partir de ce moment que nous sommes devenus un groupe à part entière. Je crois qu'on a eu un nom avant même de construire le répertoire. C'est un jeu de mots mais c'est aussi plus profond, en détournant une expression connue de tous, on évoque la sagesse de celui qui est considéré comme barbare, c'est une invitation à la simplicité, aux choses brutes, mal taillées, pas virtuoses, mais belles.

MB&P : Je vous ai découvert par un titre Brindilles à mon zenfan que je trouve superbe à la fois par son texte, sa musicalité et sa composition. Vos deux voix s'y marient magnifiquement. Pourriez-vous parler de la genèse de cette chanson ?

Ismaël fait aussi de la musique pour une compagnie de danse qui s'appelle Lookatmekid. La danseuse avec laquelle il collabore, Marion Schrotzenberger, est d'origine réunionnaise et ils étaient invités à jouer un spectacle dans le sud de l'île (St Joseph) ainsi qu'à donner un atelier de création avec des lycéens du coin. Ensemble, ils ont fait un travail incroyable et c'est à cette occasion qu'Ismaël a composé Brindilles à mon zenfan. En écrivant cette chanson il a écrit son propre créole, on y retrouve le pouvoir évocateur de cette langue, qui frôle/touche/approche le sens sans s'y attacher. Je les ai rejoints un peu après. On a vite adapté la chanson pour pouvoir la chanter à deux. On dormait dans un gîte avec des fresques sur tous les murs, et on a tourné le clip à toute vitesse le dernier après-midi avant le départ. Une fois revenue en France, j'ai commencé le montage mais on avait pas assez de plans fixes alors j'ai ajouté des dessins que j'avais faits là-bas. Tout est très bricolé mais le brikolaz c'est le principe du créole.

Cette chanson a une résonance particulière, d'un coté elle rappelle l'île de la Réunion et ces moments intenses du spectacle qu'on a vécu là bas, de l'autre le clip vite fait qu'on a monté s'est répandu comme une traînée de poudre (petite traînée de poudre, on a pas non plus d'artillerie de communicants avec nous), il nous a en quelque sorte porté chance. Et puis dernièrement, j'ai appris la mort d'un des jeunes du spectacle qui était un peu notre héros dans la pièce. Il est mort à 17 ans à la suite d'une série d'erreurs médicales. Et voilà que les paroles prennent un sens un peu prémonitoire. C'est à donc à la mémoire d'Olivier Schandené que je dédie cette chanson.

MB&P : Vous reprenez des chansons d'artistes tels qu'Alain Péters et Danyèl Waro  ? Comment se constitue le répertoire de vos reprises ? Quelles sont vos influences ?

Le voyage à la Réunion nous a fortement impressionnés. Quand Ismaël m'a invitée à les rejoindre j'ai étudié plus précisément la musique réunionnaise, surtout le maloya, et les artistes qui m'ont le plus frappée sont Alain Péters et Danyèl Waro. Le créole est une langue qui se chante bien, qui s'adapte, une langue mouvante et plus rythmique, plus musicale que le français académique. Le maloya est composé de rythmes très particuliers, en trois temps avec l'accent sur le deuxième, un cadence difficile à saisir pour des oreilles occidentales, on perd souvent le premier temps, mais c'est ce déséquilibre qui favorise la transe et saisit l'écoute. Aussi, le maloya vient des esclaves, il a été longtemps interdit car considéré comme subversif par les différents gouvernements. Danyèl Waro est très actif politiquement et c'est une dimension également importante pour nous, une résistance à la modernité, à une idée du progrès qui nous désole. L'appellation world music est terriblement arrogante. Elle sous-entend que la musique anglo-saxonne n'est pas dans le monde, ou plutôt qu'elle est tellement omniprésente qu'on ne la voit plus. On constate que dans beaucoup de pays on chante en anglais, au détriment de langues qu'on aimerait pouvoir entendre plus souvent. Le répertoire terrestre est tellement vaste, nous ne comprenons pas cette obsession persistante pour l'anglais (même si Ava est moitié-américaine).

Et puis l'influence est un mot intéressant qui va au-delà de la musique, voire même des arts. Les proches, certaines choses dites, la vue depuis notre salon, le covoiturage sont tous des éléments qui portent une influence plus grande que telle ou telle chanson entendue.

MB&P : Comment se déroule le travail de création de vos propres chansons ? Est-ce qu'elles sont toutes écrites et composées par un seul d'entre vous ?

Comme notre collaboration est assez nouvelle, nous avons commencé par adapter des chansons que nous avions composées en solo chacun. Et puis nous en avons composé de nouvelles, mais chacun de son côté. Ensuite nous les arrangeons ensemble. Il n'y a pas vraiment de façon de faire ou de recette, les chansons arrive par bout, par bricolaz comme on disait plus haut. Nous commençons tout juste à composer ensemble, notamment pour des ateliers de chorale sauvage que nous donnons de temps en temps. Malheureusement elles ne seront pas sur l'album mais nous espérons bien faire un enregistrement spécial chorale.

Nous tentons aussi de garder un aspect simple dans nos chansons. Ne pas "chipoter" trop comme on dit en belge. J'ai été très impressionné par Brassens qui raconte que sur un texte qu'il a écrit il fait plusieurs arrangement pour ne finalement garder que celui qui est le moins tape-à-l'oeil.

MB&P : Ce qui m'a aussi intéressé alors que je n'ai pas encore eu la chance de vous écouter en concert, c'est cette force, cette énergie, cette complicité et ce plaisir qui émanent de vos prestations filmées. Est-ce que la scène vous transfigure ?

Je ne comprends pas très bien la question. La complicité est due sûrement au fait que nous vivons ensemble, la frontière entre la musique et la vie est très poreuse.

Moi je crois avoir saisi un peu le sens de la question. Concernant l'intensité, il s'est passé un truc assez intéressant : nous sommes obligés de jouer assis de par les instruments qu'on utilise -qui, en plus, ont un volume assez faible- ce qui donne un coté dépouillé et frontal, bref pas vraiment du gros spectacle avec effets de lumière et jeu de scène. Tout ça c'est le hasard, mais paradoxalement, il y a comme un rapport d'intensité qui s'est installé avec le public. L'ingénieur du son avec qui nous travaillons prend aussi le parti de ne pas mettre le volume trop fort pour amener les gens à l'écoute, une sorte de simplicité de proposition. Pourtant quand le concert prend, il est possible d'arriver à créer un moment d'une densité fabuleuse. Quelque chose qui se rapprocherait plus du fromage ou du kimchi que de la cuisine nouvelle.

Et puis on est des bavards alors il nous arrive de discuter pas mal entre les chansons.

MB&P : Il ne semble pas exister d'enregistrements de vos chansons à l'exception de quelques vidéos et d'un titre disponible sur bandcamp. Est-ce qu'un album est en préparation ?

Absolument ! Nous avons d'ailleurs de très bonnes nouvelles à ce sujet, encore officieuses mais tout ce que nous pouvons dire c'est que le disque sortira en Octobre prochain. Nous avons eu la chance de croiser le chemin de Christophe Hauser, un ingénieur du son remarquable qui a autant travaillé avec Luc Ferrari que Titi Robin ou Camille, un type d'une polyvalence, d'un enthousiasme et d'une écoute sans pareil. Nous sommes très contents d'avoir pu enregistrer avec lui, il a compris notre musique et il saura la restituer dans son côté brut, terreux. Nous étions d'accord pour éviter une production trop importante et garder un relief, un grain qui manquent malheureusement à beaucoup de disques actuels.

MB&P : Comment faire pour exister dans ce paysage musical où de nombreux projets sont de qualité mais n'ont que peu d'occasions d'être largement partagés ?

Sans vouloir pinailler nous ne participons pas au "développement d'un projet musical" mais jouons dans un groupe de musique (pour les détails concernant cette nuance aller voir Franck Lepage et sa conférence gesticulée "L'éducation populaire monsieur ils n'en ont pas voulu").

Sinon c'est surtout grâce aux autres musiciens et au public que nous pouvons avancer. Il existe une entraide importante dans le milieu de la musique-pas-très-connue. Si le milieu est de plus en plus grignoté par le business et la rentabilité immédiate, il persiste des poches de résistance, du bouche à oreille, des concerts chez les particuliers, qui contournent les logiques mercantiles. Le covoiturage est également une très bonne manière de se faire connaître !

MB&P : Quelle est la question que vous aimeriez que l'on vous pose sur votre travail artistique et que personne ne vous pose jamais ? Quelle réponse donneriez-vous ?

Je dirai plutôt allons boire un coup dès que l'occasion se présente parce que c'est dans les bars qu'on parle le mieux et qu'on a le moins de problèmes de fautes d'orthographes.

MB&P s’intéresse aussi à la littérature notamment à la poésie. Quels sont les poètes qui ont tout particulièrement marqué votre itinéraire ?

Nous avons tous les deux lu et apprécié pas mal de poètes (Henri Michaux, Fernand Deligny, Pavese, Sylvia Plath...) mais en ce moment, ce qui nous occupe surtout c'est Claude Simenon et Marguerite Duras. D'ailleurs, Duras a dit : « Il y a seulement deux écrivains, Simenon et moi. » C'est pas nous qui irons dire le contraire. En tournée c'est Ismaël qui conduit et comme je n'ai pas le permis, je suis chargée de lui faire la lecture.

Et puis souvent la poésie est ailleurs que dans les livres.

MB&P : Pour terminer, qu'écoutez-vous en ce moment ?

De Kift, Zanmari Baré et le Wild Classical Music Ensemble. Nous avons également pris une sacrée rouste esthétique en découvrant le groupe ukrainien Dakha Brakha.

Sages Comme des Sauvages, je vous remercie beaucoup.

Merci à toi.

Le duo Sages Comme des Sauvages peut être retrouvé sur son site ou sur sa page FB

 

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