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poems

  • Silver Letters 3 : Le Moulleau

    Cette photographie de moi, tu avais tenu à la prendre un après-midi d'août, tu savais pourtant combien je détestais cela.

    Non loin de la mer que j'avais voulu voir, nous étions attablés dans un jardin à l'ombre protectrice des arbres. Tu avais un haut de coton écru avec, me semble-t-il, un liseré de dentelle et ton sourire irradiait l'espace, je ne voyais que toi.

    J'avais pris l'appareil, emprisonné cet instant comme si je ne voulais pas le voir s'évanouir, pour capter ta beauté lumineuse et, au final, à travers le viseur, plus encore que l'éclat de ton visage, ce fut la force inébranlable de ton amour qui apparut.

    Je n'avais pu me baigner, je t'avais regardée avancer dans les vagues. De la main, je manifestais ma présence lointaine, signe dérisoire de mon impuissance. Je rageais de ne pouvoir nager à tes côtés.

    J'avais détesté le sable de la plage ce jour-là, sa chaleur sous la plante de mes pieds engourdis, sa texture fuyante qui me faisait marcher de guingois, sa couleur éblouissante et son inconfort qui ne semblait gêner tous ces corps dénudés allongés.

    Cette photographie, je n'avais pas voulu la regarder, témoin d'un présent disparu dont je ne voulais conserver trace.

    Elle était celle d'un homme que je ne reconnais pas, il ne restait rien du vert irisé des paillettes dorées de ses yeux, le noir des pupilles semblait avoir tout digéré et son regard, malgré son esquisse de sourire, ne pouvait faire illusion.

    Pourquoi tenons-nous tant à capturer les instants éphémeres de nos vies ?

    Des clichés où nous croyons tenir la mort à distance. Et pourtant, combien elle y est déjà présente, vivante.

  • Silver Letters 1 : aucune photographie

    Je m’allonge sur le sable des jours à la recherche de la lumière

    Sur ta peau, de la texture de ta peau - sensation disparue de mes doigts.

    Pourtant, je l’ai si souvent caressée ta peau, si souvent parcourue, si souvent effleurée 

    De ma langue, de mes lèvres, de l’extrémité de mes phalanges.

    Dire cela, dire « ta peau » est devenu presque inconcevable.

    Dire « ta peau » est de l'ordre de l'effort phonatoire.

    Oser dépasser le silence muré.

    Je ne parviens plus à penser « ta peau », j'ai peur de ne plus parvenir à te penser « toi ».

    Je m’allonge à la recherche de ton empreinte sur mes rétines usagées,

    Mes dents grincent au flou de ton sourire qui s'est fané.

    Seules trois images fixes – je mesure à présent combien tu déjouais mes tentatives – ont réussi à te capturer.

    Sur l'une - prise de suffisamment loin pour te surprendre - on devine à peine ton visage,

    La peau de ton corps a le cuivre de l'été, tu es au bord d'un torrent, tes cheveux sont mouillés,

    La couleur de tes yeux - ce vert si particulier qui m'aimantait - n'est pas visible,

    Ni celle de tes lèvres. Tes lèvres qui m'embrassaient, chaudes, humides.

    Tes lèvres dont je ne sais plus le goût.

    Sur les deux autres, tu marches de dos – ne pas donner prise - tes cheveux sont libres,

    Ils étaient blonds et longs. Tu portes un jean, une marinière et des baskets blanches – à l'époque,

    Je crois que c'était à la mode mais tu te moquais de la mode.

    La courbe de tes hanches n'est que sensualité – tout du moins, je veux le concevoir ainsi.

    Ces hanches où s'arrimaient mes mains. Insolente beauté minérale.

    Je m'allonge sur le sable des années à la recherche de cette lumière si particulière qui, le soir,

    Inondait la baie et la digue de pierres maçonnées où nous marchions.

    Cette lumière, je l'espère toujours, à chaque fois que je longe le golfe, entre mer et marais,

    A chaque fois que la brise qui caresse les roseaux me rappelle ton souffle,

    Ton souffle qui peuplait mes nuits.

    Une quête apaisée. Comprendre bien après. Quand l'absence s'est installée,

    Au creux des années, la béance infinie du manque. Accueillir la douleur,

    L'accepter pour douce compagne.

    « Aucune photographie » disais-tu. Ne pas être par les grains d’argent emprisonnée

    A jamais. Ne pas être comme déjà disparue.

    Demeurer présente.

    Intensément.

    Je m'allonge sur le sable des années, je fouille ma mémoire à la recherche de vieux souvenirs.

    J'ai peur, j'ai peur de ne plus parvenir à te penser « toi ».

    « Aucune photographie » disais-tu.

    « Aucune photographie ».

  • Silver Letters 2 : le papier argentique

    Ainsi, en ce jour d'automne, alors que se referme la terre

    Noire, nous serions à jamais seuls à connaître cet ignoble

    Passé. Nous serions à jamais seuls à savoir ce que criait

    Ton regard noir d'enfant capturé sur le papier argentique.

     

    Ainsi, jusqu'à mon ultime départ, il continuerait donc à hanter

    Mes nuits, ce regard. Ce regard que je n'ai su déchiffrer.

    Ce regard qui, dans une lutte sourde inégale, affrontait

    Celui du photographe, ce voleur de ton enfance murée

    Dans le silence. Ce photographe qui dérobait la blondeur

    De tes boucles d'enfant, et sur la pellicule, jouissait

    De ta souffrance muette, je voudrais que jamais

    Il n'eut d'existence. Ce photographe qui avait déjà scellé

    Notre destin.

     

    Ainsi, en ce jour d'automne, alors que tous ceux qui auraient dû

    Te protéger sont désormais à l'abri de cette terre noire, tu serais

    A jamais seule à vivre avec cette béance infinie, à sourire

    A ceux qui t'entourent et ignorent tout de tes blessures

    Parce que tu as choisi le silence.

     

    Ainsi, en cette terre, je serais seul à connaître un fragment

    Infime de ta vérité, à porter, selon la promesse exigée,

    Le fardeau du secret.

     

    Parfois, je voudrais t'en vouloir de cette confidence échappée

    Des décennies après. Mais, comment le pourrais-je ? Moi

    Qui n'ai pas su fermer les portes aux fantômes qui te terrorisaient

    Le soir dans la chambre nuptiale. Seule me dévore encore

    Une colère infinie envers lui que la terre protège. Je voudrais

    Oser briser la stèle érigée en son souvenir, la réduire en infime

    Poussière grise et terne, broyer ses os, misérables vestiges,

    Et les voir se dissoudre dans les eaux sombres du fleuve

    Qui gronde, pour que rien de lui ne demeure sur cette terre.

    Je voudrais crier à tous ceux qui, dupés, l'ont aimé,

    Au monde entier, quel monstre il était.

     

    En ce jour d'automne, alors que se referme la terre, je pense

    A toi, lointaine sihouette muette errant dans les landes sombres

    De ton enfance dévastée.

    En ce jour d'automne, alors que se referme la terre, je ne désire

    Que le bleu du ciel, limpide, et qu'un jour, tu choisisses de parler

    Pour être enfin apaisée.

  • Comme le roseau

    le soir tombe

    la mer étale lèche l'or de la plage

    dans la lumière rasante un paysage incongru

    de quiétude de sérénité

    je n'ai pas de mots pour dire l'insoutenable

    donne-moi la main et serre-moi fort dans tes bras

    donne-moi la main et serre-moi fort dans tes bras

    parce que ce soir j'ai froid

    très froid

    nous allons regarder le soleil se coucher

    l'horizon se couvrir de rose

    et demain matin nous regarderons ce même soleil se lever

    comme à chaque jour de l'humanité

    et nous continuerons

    à vivre

    parce que nous sommes ici pour vivre

    à nous aimer

    parce que sans amour serions-nous des femmes et des hommes

    et nous continuerons

    à chanter

    parce que les chansons brisent le silence

    à rire

    parce que sans rires que seraient nos pleurs

    donne-moi la main et serre-moi fort très fort dans tes bras

    et nous continuerons

    à rêver

    parce que sans rêves il n'y aurait pas d'espoir

    à lire

    parce que libres nous voulons pouvoir interpréter

    à écouter de la musique

    parce que depuis que nous avons des rituels elle est nécessité

    à danser

    parce que nous dansons depuis que nous attendons la pluie

    depuis longtemps

    depuis la nuit des temps

    nous savons la fureur aveugle le bruit des armes et le goût des larmes

    depuis longtemps

    depuis la nuit des temps

    comme le roseau nous continuons vivants

    depuis longtemps

    depuis la nuit des temps

    nous continuons

    debout

  • J'ai longé le mur

    j'ai longé le mur

    évité les ombres

    contemplé la lumière crue

    sur les tombes

    mordu la chair d'une figue

    de celles que tu aimais

    celles à la chair rouge

    mes gencives saignaient

    de ce sang éclatant

    qui enfant me terrifiait

    j'ai attendu que les étoiles trouent le ciel

    une douce chaleur montait des pierres

    j'ai suivi l'allée de graviers

    fermé la porte des souvenirs

    longé le mur

    évité les ombres

    mes gencives saignaient

    mes gencives saignaient

     

    (Texte initialement mis en ligne le 5 juillet 2015)

  • Aurore

    Ce sera l’un de ces matins de rosée

    tu seras toute chaude endormie

    la fenêtre sera grande ouverte au bruit

    des vagues sur les rochers

    le soleil à peine levé dansera léger

    sur tes lèvres offertes entrouvertes

    sur ta main dans tes cheveux égarée

    Ce sera l’un de ces matins de rosée

    ta peau aura encore l'odeur de l'été

    j’attendrai que tu sois éveillée

    et je te regarderai.