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Depuis des mois, je me terrais. Depuis des mois, j'étais presqu'à terre. J'étais devenu gardien de phare, veilleur d'éclairs. Un peu de lumière pour les nuits d'inquiétude. Plus ou peu de musique, quelques chansons anciennes parfois, de rares lectures. Quasiment disparue l'envie de découvrir d'autres contrées. La musique des vagues me suffisait et celle du vent aussi. Juste cette énergie profonde, cette puissance vitale. Et la nuit, le son du bois des poutres de la maison quand le froid s'installe. La solitude et le silence me convenaient.
Les envies de musique ou de lecture s'évanouissent.
Parce qu'elles ne parviennent pas à calmer les peurs, à faire oublier les incertitudes de l'avenir.
Parce qu'elles ne parviennent plus à mobiliser votre énergie, votre capacité d'attention.
Parfois, la vie est ainsi parce que la vie est d'une extrême violence, d'une profonde injustice. Nous n'avons pas demandé à vivre mais nous devons vivre tout ce qui nous arrive.
Mais la vie est ainsi faite que des envies reprennent leur place.
Ce matin, le vent s'est levé. Les bourrasques faisaient craquer la vieille charpente quand j'ai ouvert l'emballage de carton posé sur la table aux carreaux de céramique, tout près de la platine vinyle. Je savais qu'il allait m'attendre, là, patiemment. Je savais qu'il allait attendre le moment où je l'ouvrirai calmement, où j'apprivoiserai son contenu à l'instant qui me paraîtrait le plus adéquat. Je l'ai laissé là quelques jours, je le regardais de temps à autre. Non, ce n'était pas encore le moment. Attendre, savoir attendre. Et puis, alors que la solitude s'était installée, que le ciel tourmenté et le noir luisant des ardoises sous la pluie me semblaient en adéquation avec son écoute, je l'ai sorti de son emballage, j'ai touché - presque caressé - sa pochette, sorti délicatement le disque.
Neuf morceaux composés par Catherine Watine. Au piano, bien sûr. Mais pas que, des sons multiples, des chutes de violoncelle, des craquements et une voix.
La musique de Catherine Watine est de celles qui créent des espaces d'introspection, qui fouillent la mémoire et les souvenirs, qui vous font osciller entre mélancolie et lumineuse sérénité, entre mystère insondable et frontières de l'intime. Touchante d'humanité, essentielle.
La musique de Catherine Watine est de celles qui sied à ces clairs-obscurs des contrées où je vis. Le disque s'achève et (est-ce un hasard ?) un rayon de soleil vient jouer avec les gouttes de pluie. Par la fenêtre, je crois voir se dessiner un arc-en-ciel.
Une longue absence. Peut-être une forme de lassitude. En mode hibernation dans mes contrées granitiques. Terré à l'abri du vent et du froid. De longues semaines, à griller une cigarette en savourant un café bien noir, à regarder les nuages déverser leur torrent de chagrin, à regarder le froid blanchir les ardoises, à entendre le vent faire trembler la charpente.
Et puis, une claque, un premier album paru en ce début d'année où je croyais continuer à rester là bienheureux ou le contraire, engoncé dans ma torpeur hivernale. "Letter To Self" par SPRINTS. Karla Chubb, Sam McCann, Jack Callan, et Colm O'Reilly, quatre irlandais, délivrent un LP somptueux qui me sort de mon antre.
Rien à jeter dans ces onze titres. Des accents de Fontaine D.C. parfois mais la production de ce groupe ne peut se réduire à ses influences multiples. Il suffit d'écouter "Shadow of a Doubt" et son explosion à 2'06, le somptueux "Can't Get Enough Of It" ou bien le dernier morceau (et sa fin) qui donne son titre à ce premier albumpour mesurer combien SPRINTS crée son propre univers où ils nous emportent définitivement conquis.
Dix ans ans après l'émouvante, la poignante version de "Mad Girl's Love Song", Carol Anne McGowan démontre, une fois de plus, sa remarquable qualité d'interprète.
Je suis sorti de ma torpeur granitique. J'ai traversé les vergers de pommiers, emprunté la route - celle qui conduit vers la ville - enjambé la rade et pris la direction du port. Une soirée, des femmes et des hommes serrés les uns contre les autres, un peu trop à mon goût, je n'ai plus l'habitude de la foule, je préfère les sentes désertées, de celles où l'on prend le temps de flâner et d'écouter la musique de l'océan et celle du vent. Une découverte, comme quoi, parfois, il est bon se frotter aux autres. Une découverte : Colin Chloé. Un Brestois en première partie de Dominique A. Pourtant, le gaillard n'est pas un débutant. Trois albums à son actif depuis 2010. Le dernier paru en 2022 : "Où l'eau te mène". Rien que le titre et cela donne envie de fureter. Une écriture, une voix, seul à la guitare électrique sur scène. J'aurais pu choisir d'autres extraits de son dernier album ou bien du précédent comme "Le monde marche". Magnifique chanson qui raconte les perdants et leur révolte. Une belle découverte car ce que nous raconte Colin Chloé, nourri par cette terre de granit où pousse l'ajonc, est de l'ordre de l'universel.