Concision 108
Chaleur de la nuit
Son odeur cherchée sur les draps
Cruel septembre.
En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.
Chaleur de la nuit
Son odeur cherchée sur les draps
Cruel septembre.
Cette photographie de moi, tu avais tenu à la prendre un après-midi d'août, tu savais pourtant combien je détestais cela.
Non loin de la mer que j'avais voulu voir, nous étions attablés dans un jardin à l'ombre protectrice des arbres. Tu avais un haut de coton écru avec, me semble-t-il, un liseré de dentelle et ton sourire irradiait l'espace, je ne voyais que toi.
J'avais pris l'appareil, emprisonné cet instant comme si je ne voulais pas le voir s'évanouir, pour capter ta beauté lumineuse et, au final, à travers le viseur, plus encore que l'éclat de ton visage, ce fut la force inébranlable de ton amour qui apparut.
Je n'avais pu me baigner, je t'avais regardée avancer dans les vagues. De la main, je manifestais ma présence lointaine, signe dérisoire de mon impuissance. Je rageais de ne pouvoir nager à tes côtés.
J'avais détesté le sable de la plage ce jour-là, sa chaleur sous la plante de mes pieds engourdis, sa texture fuyante qui me faisait marcher de guingois, sa couleur éblouissante et son inconfort qui ne semblait gêner tous ces corps dénudés allongés.
Cette photographie, je n'avais pas voulu la regarder, témoin d'un présent disparu dont je ne voulais conserver trace.
Elle était celle d'un homme que je ne reconnais pas, il ne restait rien du vert irisé des paillettes dorées de ses yeux, le noir des pupilles semblait avoir tout digéré et son regard, malgré son esquisse de sourire, ne pouvait faire illusion.
Pourquoi tenons-nous tant à capturer les instants éphémeres de nos vies ?
Des clichés où nous croyons tenir la mort à distance. Et pourtant, combien elle y est déjà présente, vivante.
Là
en cet instant
au monde
présent
et
dans le même temps
étrangement absent
entre parenthèses.
Je m'abandonne à la douce chaleur de tes mains
Posées immobiles sur mon dos nu
Elles me rassurent
La tête au creux de ton épaule j'écoute
Lente, régulière et profonde ta respiration
Elle m'apaise
Les pulsations de ton cœur rythment chacune de mes nuits
Je les épie au long de mes insomnies
Je voudrais que jamais il ne cesse de battre
Ton coeur
Rester à jamais blottie dans tes bras qui m'enlacent
Parfois je ne sais si tu me crois
Quand je dis que jamais je n'ai connu cela
Ton sourire alors - tu ne le sais pas - me transperce
Tu n'as pas à douter
Non tu n'as pas à douter.
Je m’allonge sur le sable des jours à la recherche de la lumière
Sur ta peau, de la texture de ta peau - sensation disparue de mes doigts.
Pourtant, je l’ai si souvent caressée ta peau, si souvent parcourue, si souvent effleurée
De ma langue, de mes lèvres, de l’extrémité de mes phalanges.
Dire cela, dire « ta peau » est devenu presque inconcevable.
Dire « ta peau » est de l'ordre de l'effort phonatoire.
Oser dépasser le silence muré.
Je ne parviens plus à penser « ta peau », j'ai peur de ne plus parvenir à te penser « toi ».
Je m’allonge à la recherche de ton empreinte sur mes rétines usagées,
Mes dents grincent au flou de ton sourire qui s'est fané.
Seules trois images fixes – je mesure à présent combien tu déjouais mes tentatives – ont réussi à te capturer.
Sur l'une - prise de suffisamment loin pour te surprendre - on devine à peine ton visage,
La peau de ton corps a le cuivre de l'été, tu es au bord d'un torrent, tes cheveux sont mouillés,
La couleur de tes yeux - ce vert si particulier qui m'aimantait - n'est pas visible,
Ni celle de tes lèvres. Tes lèvres qui m'embrassaient, chaudes, humides.
Tes lèvres dont je ne sais plus le goût.
Sur les deux autres, tu marches de dos – ne pas donner prise - tes cheveux sont libres,
Ils étaient blonds et longs. Tu portes un jean, une marinière et des baskets blanches – à l'époque,
Je crois que c'était à la mode mais tu te moquais de la mode.
La courbe de tes hanches n'est que sensualité – tout du moins, je veux le concevoir ainsi.
Ces hanches où s'arrimaient mes mains. Insolente beauté minérale.
Je m'allonge sur le sable des années à la recherche de cette lumière si particulière qui, le soir,
Inondait la baie et la digue de pierres maçonnées où nous marchions.
Cette lumière, je l'espère toujours, à chaque fois que je longe le golfe, entre mer et marais,
A chaque fois que la brise qui caresse les roseaux me rappelle ton souffle,
Ton souffle qui peuplait mes nuits.
Une quête apaisée. Comprendre bien après. Quand l'absence s'est installée,
Au creux des années, la béance infinie du manque. Accueillir la douleur,
L'accepter pour douce compagne.
« Aucune photographie » disais-tu. Ne pas être par les grains d’argent emprisonnée
A jamais. Ne pas être comme déjà disparue.
Demeurer présente.
Intensément.
Je m'allonge sur le sable des années, je fouille ma mémoire à la recherche de vieux souvenirs.
J'ai peur, j'ai peur de ne plus parvenir à te penser « toi ».
« Aucune photographie » disais-tu.
« Aucune photographie ».
Ainsi, en ce jour d'automne, alors que se referme la terre
Noire, nous serions à jamais seuls à connaître cet ignoble
Passé. Nous serions à jamais seuls à savoir ce que criait
Ton regard noir d'enfant capturé sur le papier argentique.
Ainsi, jusqu'à mon ultime départ, il continuerait donc à hanter
Mes nuits, ce regard. Ce regard que je n'ai su déchiffrer.
Ce regard qui, dans une lutte sourde inégale, affrontait
Celui du photographe, ce voleur de ton enfance murée
Dans le silence. Ce photographe qui dérobait la blondeur
De tes boucles d'enfant, et sur la pellicule, jouissait
De ta souffrance muette, je voudrais que jamais
Il n'eut d'existence. Ce photographe qui avait déjà scellé
Notre destin.
Ainsi, en ce jour d'automne, alors que tous ceux qui auraient dû
Te protéger sont désormais à l'abri de cette terre noire, tu serais
A jamais seule à vivre avec cette béance infinie, à sourire
A ceux qui t'entourent et ignorent tout de tes blessures
Parce que tu as choisi le silence.
Ainsi, en cette terre, je serais seul à connaître un fragment
Infime de ta vérité, à porter, selon la promesse exigée,
Le fardeau du secret.
Parfois, je voudrais t'en vouloir de cette confidence échappée
Des décennies après. Mais, comment le pourrais-je ? Moi
Qui n'ai pas su fermer les portes aux fantômes qui te terrorisaient
Le soir dans la chambre nuptiale. Seule me dévore encore
Une colère infinie envers lui que la terre protège. Je voudrais
Oser briser la stèle érigée en son souvenir, la réduire en infime
Poussière grise et terne, broyer ses os, misérables vestiges,
Et les voir se dissoudre dans les eaux sombres du fleuve
Qui gronde, pour que rien de lui ne demeure sur cette terre.
Je voudrais crier à tous ceux qui, dupés, l'ont aimé,
Au monde entier, quel monstre il était.
En ce jour d'automne, alors que se referme la terre, je pense
A toi, lointaine sihouette muette errant dans les landes sombres
De ton enfance dévastée.
En ce jour d'automne, alors que se referme la terre, je ne désire
Que le bleu du ciel, limpide, et qu'un jour, tu choisisses de parler
Pour être enfin apaisée.
Rêvé du son clair
En cette nuit mauvaise
De l'eau d'un torrent.
Rideau gris de pluie
Dans le silence des tombes
Immobile seul.