Concision 85
Nouvelle année première gelée
En terre les cendres de ma mère
ont rejoint celles de mon père.
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Nouvelle année première gelée
En terre les cendres de ma mère
ont rejoint celles de mon père.
Des années après, je t'ai retrouvée. Tu portais un imperméable rouge.
C'était un matin de pluie, un de ces matins gris que j'abhorrais. Un de ces matins où je marchais, absent au monde, sans un seul regard pour ce ciel gris. Je ne voyais personne ou plus précisément mes nerfs optiques transmettaient des signaux que je voulais ignorer. Je ne voulais percevoir qu'une foule grise, anonyme, sous ce ciel gris, dans ce matin gris. Et, il y eut cette tâche rouge au loin qui attira mon attention.
Ton imperméable rouge.
Il n'avait pu – je ne le savais pas encore - te protéger que de la pluie.
Et alors, il y eut la lumière de ton visage. La lumière de ton regard, aussi. Cette lumière que je ne saurai décrire. Cette lumière me laissa pantelant, désarmé. Elle me mit en mouvement, inexorablement. Je ne réfléchissais pas, je n'étais que ce mouvement, que ce corps en marche, qu'articulations, muscles et tendons en action. Je n'étais que tension, qu'impulsion soudaine pour te rejoindre.
Un sentiment d'urgence.
Cette histoire, je te l'ai tant de fois déjà racontée. Et tout le reste aussi.
Cet imperméable rouge, pour quelles raisons l'avais-tu choisi ? Toi qui voulais passer inaperçue, te fondre, anonyme. Notre futur t'avait-il conduit à ce choix ?
Notre rencontre débutait sous le signe du désir. Mais, tu n'en savais rien. Dès le premier instant, j'ai cherché à te séduire. Tellement ébloui. Aveugle à tout ce qui n'était pas toi. Obsédé par toi. Je ne voyais que l'iris vert de tes yeux, le dessin de tes lèvres et ton sourire indéfinissable. Je cherchais ton visage sur les quais de gare. Je guettais ton apparition sur le boulevard chaque fin d'après-midi. Ta silhouette, ta démarche, ton port de tête. Tu étais princesse inaccessible, réfugiée en ta forteresse. Je n'avais cesse de te retrouver. Je traversais les jours sans autre pensée que toi. Je t'attendais. Je détestais ces jours où l'automobile te dérobait à ma présence. Je ne pouvais savoir ce qui t'arrachait à moi. Moi qui n'était rien. Moi qui voulait être tout. Chaque matin, chaque soir, j'espérais l'instant où enfin tu allais t'asseoir dans la grâce d'un timide sourire en face de moi. Ces instants, j'aurais voulu qu'ils durent jusqu'à ce que la lune t'éclaire d'or. Mais, ces instants, je ne pouvais que les voler, que les dérober.
Par tes yeux, enfin, je voyais la mer et je sentais une houle longue, profonde me porter. Je découvrais enfin mon univers. Un univers inondé de lumière.
Je voyais - j'en étais certain - tout l'amour que tu avais à donner. Je voyais tout l'amour qui t'avait manqué. Tu étais ma joie, mon impatience. Je guettais le moindre de tes sourires - ils me transperçaient le cœur. Je cherchais à te séduire. Je ne savais rien de ta vie, de tes souffrances. Mais j'avais envie d'être ton rempart. J'étais au bord du quai, prêt à basculer. Je découvrais le plaisir d'aimer. Je chavirais, bateau ivre. Je déposais des mots et des regards. Des petits cailloux pour te guider vers le chemin qui – je l'espérais - te mènerait à moi. Je cherchais à te séduire.Tu me laissais dans l'ignorance. Le doute était mon infatigable compagnon de voyage. Impénétrable, énigmatique, tu ne te livrais pas. Je cherchais à te séduire. Je n'osais rien te demander. Je n'avais que des questions qui ne pouvaient que rester sans réponses. Parfois, la colère ou le désespoir me submergeait. Je maudissais ton indifférence supposée. Je ne disais rien. Je devinais mais ne voulais pas savoir. Je maudissais les jours où tu me quittais sur les quais de gare. Je ne montrais rien. Je cherchais à te séduire. Je n'osais t'espérer. Je ne croyais pas te mériter. Et pourtant, j'étais envoûté, je ne pouvais pas lutter contre cette tendresse que je lisais dans ton regard. J'essayais de déchiffrer des signes sur ton visage. Je n'y parvenais pas. Je t'attendais. Je ne pouvais que t'attendre. Te laisser venir à moi.
Et maintenant, chaque soir, tu es là, allongée, blottie contre moi. Tu dis que mon corps est chaud et je m'enroule autour de toi pour te réchauffer. J'écoute la musique de ta voix quand, la nuit tombée, tu lis à haute voix. Elle me calme, me berce. Tu dis que ma peau est douce et je laisse ta main explorer mon corps - il s'abandonne enfin. Et maintenant, chaque soir, j'attends l'instant où je vais sentir le poids de ta tête sur mon épaule quand le sommeil t'emporte. Je n'ose le moindre mouvement si ce n'est caresser lentement l'arrondi de ton crâne, celui de ta joue, si ce n’est effleurer le grain de beauté qui orne ta main gauche.
Chaque jour, te sentir contre moi, t'entendre respirer, apaisée. Chaque jour, je ne regrette rien du passé.
Un jour de nuages à la dérive, j'ai ouvert grands mes bras, je t'ai serrée tout contre moi. Il n'y avait que nous, enlacés dans cette ruelle, nous seuls présents au monde. Je ne voyais que toi, plus rien n'avait d'importance que toi.
Je savais que tu m’emmènerais loin du pays des ombres. Vers d'autres contrées, là où le bonheur a le droit d'exister, là où le plaisir naît du désir dans les regards, là où l'amour n'est pas chimère mais de l'ordre du possible.
Enfin.
je me tenais nue debout dans la lumière qui inondait la chambre
le dos tourné à contre-jour offerte à ton regard
intimidée de mes mains j’avais couvert mes seins
je n’osais me risquer à ton regard
j’avais peur
tu l’ignorais
paradoxalement il est plus facile de livrer sa nudité
à ces hommes qui ne connaissent que la convoitise
à ces hommes imbus d’eux-mêmes qui ne sont rien
être une autre soi-même détachée de la scène
sans être aimée sans risque d’aimer sans risque d’être abandonnée
cela tu l’ignorais aussi
je me tenais nue debout dans la lumière
qui inondait la chambre
le dos tourné à contre-jour offerte à ton regard
tes baisers timides au creux de mes reins me firent frissonner
et tes mots furent douces caresses sur ma peau
je m’abandonnais à la chaleur de tes mains émues
elles étaient amoureuses
j’étais apaisée
je t’avais enfin trouvé.
le portail d’abcès de rouille
grince
sur les marches de l’escalier
deux chaises d’été attendent
délaissées
dans le jardin abandonné
les marguerites sont éteintes et le ruisseau
s’est tu
les volets
clos de silence
ne cachent que le miroir piqué
où tu esquissais un sourire
de rouge fardé
il ne reste que des ombres
surgies de cadres aux dorures fanées
qui parfois peuplaient nos nuits
de douleurs
muettes
Immobile nu
Au bord du sombre abîme
Oscille plonge.
Jour après jour
mois après mois
attendre
que la douleur disparaisse
que le plaisir reprenne sa place
enfin
pouvoir marcher dormir lire écrire écouter notes et chants
enfin
(re)vivre
Pas même le vent
dans les feuilles du mûrier
n’aurait pu changer notre futur.
Il était dès son point d’origine tracé
inéluctable.
Premiers bourgeons
A ses yeux rides nouvelles
Encore plus belle.