Albums & Book Review : « The Art of the Demo » by Cheval Blanc. « Collège » by Jérôme-David Suzat-Plessy, éditions Bruit Blanc, 2012.
Il est des rencontres fortuites qui vous plongent dans un état particulier. Sans que vous sachiez vraiment l'expliquer, vous avez l'impression qu'elle était inévitable, indispensable, comme un "déjà-là" et qu'elle ne pourra plus vous quitter.
Une compagnie précieuse qui fait irruption dans votre vie, rare, inestimable, tellement précieuse et familière, tellement fragile et indissociable de votre intimité que vous hésitez à la partager.
L’œuvre de Cheval Blanc (projet solo de Jérôme-David Suzat) est de l'ordre de ces rencontres qui, instantanément, entrent en résonance avec ce qui vous constitue au plus profond et que vous ignorez. Un autre vous-même.
Je ne connais rien de la vie d'homme de cet artiste. Cela n'a aucune importance. Cela n'est d'aucun intérêt.
Par contre, ce que je sais de son œuvre, c'est qu'elle constitue l'une des plus belles découvertes de ces dernières années dans les sentes musicales que je parcours.
Rencontre irrémédiable, définitive, radicale, de l'ordre du tout ou rien. Écouter Cheval Blanc est une épreuve parce qu'il ne peut y avoir de demi-mesure. Adhérer, être conquis ou rejeter, ne pas vouloir entendre ce qui dérange.
L’œuvre de Cheval Blanc est une alchimie quasi miraculeuse.
Entre cette voix fragile et pourtant si puissante dans sa capacité expressive, à la limite de la fêlure et de la brisure, à la lisière des forêts sombres qui nous hantent.
Entre ces textes où rythme et sonorité sont tout aussi importants que sens et lyrisme, où vous croyez entendre le souffle de l'auteur jaillir, fulgurant.
Entre des compositions – omniprésence du piano - qui démontrent que le dépouillé génère beaucoup plus d'émotions que la profusion d'arrangements et la sophistication technologique.
Et puis il y a le son de « The Art of the Demo ». Ce son artisanal qui justement apporte la couleur nécessaire, indispensable pour créer cet ensemble unique, cette ode viscérale. J'ose même affirmer que, sans ce son, l’œuvre de Cheval Blanc n'aurait pas la même portée, la même puissance évocatrice. A se fondre dans les productions actuelles, elle aurait tout y à perdre.
Je crois avoir lu, dans l'une des rares interviews disponibles de Cheval Blanc, qu'il avait envisagé d'interpréter des chansons avec un quatuor à cordes. Pourquoi pas, mais alors je l'imagine avec l'intensité d'un jeu de cordes comparable à celui de Casals dans les Suites de Bach.
Intensité justement de la première chanson qui ouvre le troisième opus au titre "Rouge" chargé de symbolique.
« Il faut écrire lentement le nom des gens que l'on aime », c'est ainsi que débute « Le poème lent », titre peut-être le plus intense grâce à la maîtrise de la durée, à la lenteur instaurée entre notes du piano et chant.
Tel un danseur qui, par les variations du mouvement, crée des ruptures dans l'espace-temps, Cheval Blanc nous transporte, dès les premières notes et mots chantés, dans son univers où l'amour, la nostalgie, la souffrance, la passion, la mélancolie mais aussi l'élégance occupent cette place particulière qui suspend le temps.
Temps de l'amour, temps de la perte déjà-là, irrémédiable.
Et si Cheval Blanc nous capture, nous saisit, nous happe, ce n'est pas seulement grâce à ses textes. C'est aussi parce que sa voix, sa diction, son phrasé se marient parfaitement aux musiques qui portent ses paroles, épousent la chair de ses mots. Quoi qu'il pense de sa voix et de sa justesse, aucun doute permis. Cette voix qui incarne l'essence de ses textes ne peut qu'être.
Il y a une musicalité étonnante dans le travail de Cheval Blanc, musicalité de la langue - cet homme aime les mots - qui en fait, sans aucun doute, l'un des auteurs-compositeurs interprètes incontournables de ces dernières années. Méconnu du grand public tel un Marcel Kanche mais indispensable.
Et puis, il y a aussi ce sens de la mélopée, cette linéarité comme dans « I love you so much » ou bien encore dans "du Chaoos". Magistral.
Musicalité des textes, souffle rythmique, notables aussi dans son recueil « Collège » publié chez le même éditeur Bruit Blanc dont il convient de souligner la qualité du travail éditorial.
Ces qualités, ces fulgurances, nous les avions déjà découvertes dans des chansons magnifiques de ses deux précédents EP : « Ma ville », « A la mort du monde », « Les amants morts », « La révolution est un jeu d'enfant » et bien d'autres.
Si Cheval Blanc est un habile artisan de la mélodie – il n ' y a qu'à écouter « Alcool », il est aussi fort habile pour insérer de petites touches à ses chansons qui donnent cette coloration particulière : les voix sur « Garce ! » ou « L’assassin » par exemple.
Il y a aussi, comment trouver les mots, comme une délicate fraîcheur, une douce brise d'adolescence, un romantisme dont on avait oublié les envolées, une incandescence dans ses chansons et poèmes.
Cheval Blanc nous conduit vers des contrées inestimables. Enfermés dans nos vies de cellophane aseptisées, nous avions presque oublié que nos existences étaient habitées par l'amour et la passion. Un cortège d'espoir, de plaisirs et de désir. Un cortège de peurs, de souffrances et de désespoir aussi.
Et cela fait un bien infini.
C'est certain, Cheval Blanc est condamné. Condamné à nous offrir une nouvelle suite à « The Art Of The Demo #3».
L'album et les deux EP sont en en écoute et en vente ici :
Le recueil de poèmes « Collège » est disponible ici :