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poetry - Page 3

  • la fabrique 14 : "Vous êtes un intellectuel ?"

    un jour un message un message électronique une question : « Vous êtes un intellectuel ? » mais c'est quoa cette question ? « Vous êtes un intellectuel ? » un intelléquoi ? un intéléctuel ? je sais pas moa ce qu'c'est qu'un intélétuel ? c'est quoa ça ? ça fait quoa ça ? dis, c'est ceux qui bavassent devant les micros qui pérorent sur les écrans qui alignent des phrases que je comprends pas quand ils arrivent à la fin et que j'dois appuyer sur replay et qui sourient béats devant leur analyse brillante , leur finesse d'esprit ? dis, c'est pour ça que tu me prends ? dis, les intellectuels c'est quoa ça ? ça s'oppose à quoa ça ? parce que si tu m'poses la question, c'est bien qu't'as une idée de c'que c'est, de ce que c'n'est pas ? dis, dis t'attends quoa comme réponse ? tu veux que je t'écrive que j'ai de l'ambition moa, petit tas de chair minuscule qui vais finir rongé par les vers ou en cendres lâchées dans les airs, tu crois que j'ai l'ambition de donner du sens au monde moa ? dis, tu crois quoa toi ? que moi qui suis très préoccupé par mes intestins tous les matins et les soirs j'ai l' temps d'avoir des idées sur tout et n'importe quoi ? tu crois que j'suis un expert en que'que chose, pace que t'en connais toi des experts en queque chose ? ah ce mot « EXPERT », laisse-moi rire y a jamais eu autant d' « experts » qui expertisent tout et n'importe quoi et alors ça a produit quoa ça à part que ça leur permet d'avoir un petit bout de galette, juste un petit bout tout d'même pace que la galette faut faire attention, si tu la partages trop, y en a plus assez pour toi, la galette ça fait des miettes. dis tu crois quoa à me poser cette question ? que j'ai la prétention d'avoir une pensée critique ? tu te trompes d'éléphant, va voir ailleurs dans le zoo, j'ai la prétention de rien faire moi, je vide mon sac, c'est tout, je pense pas moa, ça sort comme ça, comme une envie de vomir, irrépressible ou comme quand t'as envie de pisser et que tu peux plus te retenir. je fais pas dans le peaufinage, l'élégant, le beau, le pensé raffiné, le philosophiquement élaboré, le critique étale-moi la confiture, le col de chemise ouvert négligemment. non je rabote grossièrement, je ponce au gros grain, j'y vais allégrement à la brosse moa pas au pinceau fin, je triture sans trop savoir, j'assemble de guingois. mais quoa tu te prends pour qui toa d'abord à me poser cette question ? t'as bien une p'tite idée tout de même autrement tu me la poserais pas ta question. Alors allez envoie- moi le fonds de ta pensée, dis-moi ce qui te triture et je verrai si j'ai le temps de lire ta réponse à ta question et si je la comprends. après je sais pas si je te répondrai pace que j'ai un tas de trucs à faire, aller chercher de quoi manger, faire une lessive, étendre le linge, combler mon découvert, mettre le réveil à sonner pour pas oublier d'aller bosser , pace que bosser dans ce monde est devenu une souffrance de tous les matins, ramasser les miettes sur la table... ah oui les miettes et la galette c'est fou ceux qui veulent un morceau de galette. ah oui tu t'en fous toa de tout ça, c'est vrai t'attends que ta réponse à cette question « Vous êtes un intellectuel » ? « Vous êtes un intellectuel » ?

  • Silver Letters 3 : Le Moulleau

    Cette photographie de moi, tu avais tenu à la prendre un après-midi d'août, tu savais pourtant combien je détestais cela.

    Non loin de la mer que j'avais voulu voir, nous étions attablés dans un jardin à l'ombre protectrice des arbres. Tu avais un haut de coton écru avec, me semble-t-il, un liseré de dentelle et ton sourire irradiait l'espace, je ne voyais que toi.

    J'avais pris l'appareil, emprisonné cet instant comme si je ne voulais pas le voir s'évanouir, pour capter ta beauté lumineuse et, au final, à travers le viseur, plus encore que l'éclat de ton visage, ce fut la force inébranlable de ton amour qui apparut.

    Je n'avais pu me baigner, je t'avais regardée avancer dans les vagues. De la main, je manifestais ma présence lointaine, signe dérisoire de mon impuissance. Je rageais de ne pouvoir nager à tes côtés.

    J'avais détesté le sable de la plage ce jour-là, sa chaleur sous la plante de mes pieds engourdis, sa texture fuyante qui me faisait marcher de guingois, sa couleur éblouissante et son inconfort qui ne semblait gêner tous ces corps dénudés allongés.

    Cette photographie, je n'avais pas voulu la regarder, témoin d'un présent disparu dont je ne voulais conserver trace.

    Elle était celle d'un homme que je ne reconnais pas, il ne restait rien du vert irisé des paillettes dorées de ses yeux, le noir des pupilles semblait avoir tout digéré et son regard, malgré son esquisse de sourire, ne pouvait faire illusion.

    Pourquoi tenons-nous tant à capturer les instants éphémeres de nos vies ?

    Des clichés où nous croyons tenir la mort à distance. Et pourtant, combien elle y est déjà présente, vivante.

  • Silver Letters 1 : aucune photographie

    Je m’allonge sur le sable des jours à la recherche de la lumière

    Sur ta peau, de la texture de ta peau - sensation disparue de mes doigts.

    Pourtant, je l’ai si souvent caressée ta peau, si souvent parcourue, si souvent effleurée 

    De ma langue, de mes lèvres, de l’extrémité de mes phalanges.

    Dire cela, dire « ta peau » est devenu presque inconcevable.

    Dire « ta peau » est de l'ordre de l'effort phonatoire.

    Oser dépasser le silence muré.

    Je ne parviens plus à penser « ta peau », j'ai peur de ne plus parvenir à te penser « toi ».

    Je m’allonge à la recherche de ton empreinte sur mes rétines usagées,

    Mes dents grincent au flou de ton sourire qui s'est fané.

    Seules trois images fixes – je mesure à présent combien tu déjouais mes tentatives – ont réussi à te capturer.

    Sur l'une - prise de suffisamment loin pour te surprendre - on devine à peine ton visage,

    La peau de ton corps a le cuivre de l'été, tu es au bord d'un torrent, tes cheveux sont mouillés,

    La couleur de tes yeux - ce vert si particulier qui m'aimantait - n'est pas visible,

    Ni celle de tes lèvres. Tes lèvres qui m'embrassaient, chaudes, humides.

    Tes lèvres dont je ne sais plus le goût.

    Sur les deux autres, tu marches de dos – ne pas donner prise - tes cheveux sont libres,

    Ils étaient blonds et longs. Tu portes un jean, une marinière et des baskets blanches – à l'époque,

    Je crois que c'était à la mode mais tu te moquais de la mode.

    La courbe de tes hanches n'est que sensualité – tout du moins, je veux le concevoir ainsi.

    Ces hanches où s'arrimaient mes mains. Insolente beauté minérale.

    Je m'allonge sur le sable des années à la recherche de cette lumière si particulière qui, le soir,

    Inondait la baie et la digue de pierres maçonnées où nous marchions.

    Cette lumière, je l'espère toujours, à chaque fois que je longe le golfe, entre mer et marais,

    A chaque fois que la brise qui caresse les roseaux me rappelle ton souffle,

    Ton souffle qui peuplait mes nuits.

    Une quête apaisée. Comprendre bien après. Quand l'absence s'est installée,

    Au creux des années, la béance infinie du manque. Accueillir la douleur,

    L'accepter pour douce compagne.

    « Aucune photographie » disais-tu. Ne pas être par les grains d’argent emprisonnée

    A jamais. Ne pas être comme déjà disparue.

    Demeurer présente.

    Intensément.

    Je m'allonge sur le sable des années, je fouille ma mémoire à la recherche de vieux souvenirs.

    J'ai peur, j'ai peur de ne plus parvenir à te penser « toi ».

    « Aucune photographie » disais-tu.

    « Aucune photographie ».

  • Silver Letters 2 : le papier argentique

    Ainsi, en ce jour d'automne, alors que se referme la terre

    Noire, nous serions à jamais seuls à connaître cet ignoble

    Passé. Nous serions à jamais seuls à savoir ce que criait

    Ton regard noir d'enfant capturé sur le papier argentique.

     

    Ainsi, jusqu'à mon ultime départ, il continuerait donc à hanter

    Mes nuits, ce regard. Ce regard que je n'ai su déchiffrer.

    Ce regard qui, dans une lutte sourde inégale, affrontait

    Celui du photographe, ce voleur de ton enfance murée

    Dans le silence. Ce photographe qui dérobait la blondeur

    De tes boucles d'enfant, et sur la pellicule, jouissait

    De ta souffrance muette, je voudrais que jamais

    Il n'eut d'existence. Ce photographe qui avait déjà scellé

    Notre destin.

     

    Ainsi, en ce jour d'automne, alors que tous ceux qui auraient dû

    Te protéger sont désormais à l'abri de cette terre noire, tu serais

    A jamais seule à vivre avec cette béance infinie, à sourire

    A ceux qui t'entourent et ignorent tout de tes blessures

    Parce que tu as choisi le silence.

     

    Ainsi, en cette terre, je serais seul à connaître un fragment

    Infime de ta vérité, à porter, selon la promesse exigée,

    Le fardeau du secret.

     

    Parfois, je voudrais t'en vouloir de cette confidence échappée

    Des décennies après. Mais, comment le pourrais-je ? Moi

    Qui n'ai pas su fermer les portes aux fantômes qui te terrorisaient

    Le soir dans la chambre nuptiale. Seule me dévore encore

    Une colère infinie envers lui que la terre protège. Je voudrais

    Oser briser la stèle érigée en son souvenir, la réduire en infime

    Poussière grise et terne, broyer ses os, misérables vestiges,

    Et les voir se dissoudre dans les eaux sombres du fleuve

    Qui gronde, pour que rien de lui ne demeure sur cette terre.

    Je voudrais crier à tous ceux qui, dupés, l'ont aimé,

    Au monde entier, quel monstre il était.

     

    En ce jour d'automne, alors que se referme la terre, je pense

    A toi, lointaine sihouette muette errant dans les landes sombres

    De ton enfance dévastée.

    En ce jour d'automne, alors que se referme la terre, je ne désire

    Que le bleu du ciel, limpide, et qu'un jour, tu choisisses de parler

    Pour être enfin apaisée.