Est-ce qu'un temps vient où les prières ne suffisent plus ?
Est-ce qu'un temps vient où la route s'impose ?
Probablement, à la lecture de ce second roman de Christel Delcamp. La route s'impose lorsque des circonstances extrêmes font que des êtres n'ont d'autre choix que d'emprunter une voie nouvelle et incertaine, parsemée de souffrances, de brisures, d'espoir et de renaissance.
Un auteur qui fait dire par l'intermédiaire de ses personnages des vers de Guillaume Appolinaire, d'Arthur Rimbaud, d'Anna de Noailles ou bien de Pierre Reverdy ne pouvait me laisser indifférent.
Et c'est bien ce texte de Reverdy, magnifique de surcroît dans sa rythmique, sa sonorité, son écriture, sa profondeur et ce qu'il exprime sur la condition d'un être humain, qui constitue - peut-être même à l'insu de cette jeune romancière, la pierre angulaire de son roman.
Texte qui constitue donc la pierre angulaire du personnage central et superbe d'Hélène, cette grand-mère, cette mère, cette femme qui porte, pour reprendre les vers de Reverdy, « caché au plus haut des entrailles,
A la place où la foudre a frappé trop souvent,
Un cœur où chaque mot a laissé son entaille,
Et d'où sa [ma] vie s'égoutte au moindre mouvement ».
Personnage à la destinée toujours traversée par l'amour et la perte. Personnage qui, lors de l'irruption de la poésie dans son existence, connaîtra une révélation. Personnage à qui l'écriture s'imposera irrémédiablement.
Une femme qui, si elle existait, donnerait sans aucun doute envie de panser ses blessures. Une femme que l'on souhaiterait chérir tendrement et accompagner jusqu'à ses derniers instants. Une femme à qui l'on voudrait dire qu'elle est une belle personne.
Et c'est là que réside la réussite de Christel Delcamp : nous faire plonger dans les profondeurs de ses personnages principaux, nous les faire aimer parce qu'elle les aime. Coco, petite fille qui répète « chui pas une poupée ». Doris, sa mère, écorchée vive par la vie. Hélène, mère et grand-mère, qui ira jusqu'au bout de la route pour signifier, dans un don ultime, combien elle aime sa fille et sa petite-fille.
Bien sûr, je peux vous apparaître dithyrambique alors, parce que je n'ai pas l'habitude ici de la flagornerie,je ne vous cacherai pas que ce livre a quelques faiblesses – de mon point de vue et avec tout le respect dû à l'auteure – qui sont probablement dues au fait que les premiers chapitres auraient pu appeler une épure, dans certains dialogues notamment. Cela n'aurait modifié en rien ni la qualité de l'intrigue ni la progression du livre.
Mais, au-delà de ce léger regret, force est de constater que, dès que ces trois femmes prennent la route, ce roman fonctionne parfaitement et nous entraîne jusqu'au bout (j'ai eu le malheur ou le bonheur de prêter mon exemplaire que j'avais débuté et il me fut impossible de le récupérer avant que la lecture en soit achevée).
Il y a chez Christel Delcamp des qualités indéniables : une sensibilité dans l'écriture, une sensualité, un rapport aux éléments naturels (l'eau présente : aussi bien avec celle du trou d'eau où saute Coco, celle du lac et de l'océan où se baigne Doris, la forêt, les pins...), un rythme, un sens de la formule, de la phrase et une réelle capacité à rendre ses personnages présents – y compris lorsqu'ils sont les plus abjects.
Il y a aussi des moments où elle sait introduire la légèreté nécessaire alors même que les scènes sont des plus terribles : ainsi celle de Coco et du Scorpion ou bien encore celle où Doris subit un viol.
Ses ruptures de style d'écriture viennent parfaitement au service du cheminement de ses personnages comme dans la lettre d'Hélène à sa petite-fille. Nous oserions même dire que, plus son roman progresse, plus son style devient intéressant, comme si l'auteure était transformée par ses personnages.
Il y a de fort belles trouvailles – les carpes par exemple. Et puis au détour de certaines pages, il y a des phrases qui disent tout, comme cela, simplement, posées comme des perles de rosée au petit matin, des éclairs fulgurants et bouleversants de légèreté et de profondeur :
« Étendre, lisser, habiter dans un monde sans faux pli, un monde étincelant où présidait l'ordre. Se tenir à la périphérie et agencer les jours comme ils doivent l'être si l'on veut tenir debout. »
« Elle l'épiait à travers les peluches que laissait le chiffon sur les vitres . De cette manière, dans la douceur des minuscules traînées cotonneuses, la silhouette apparaissait moins aiguë. Doris n'avait jamais regardé son père autrement qu'à travers des filtres. »
Christel Delcamp n'a pas pour prétention de bouleverser le paysage littéraire mais elle réussit parfaitement à nous captiver et à nous toucher. Parce qu'elle nous dit quelque chose sur notre monde et sur nos existences, c'est déjà beaucoup et c'est bien comme ça.
Espérons que ce roman publié par un éditeur associatif pourra bénéficier d'une diffusion aussi large que bien des livres de « grandes maisons » qui n'en ont pas toujours les mêmes qualités.
Un recueil de nouvelles, un troisième roman et un roman graphique seraient en préparation, alors nous ne pouvons que lui souhaiter de poursuivre son chemin. Peut-être sera-t-il semé d'embûches, de déceptions et de doutes mais tout comme les sentiers de montagne, nous savons qu'il l'emmènera vers de belles contrées.
Vous pouvez vous procurer le livre ici ou mieux encore recommander à votre libraire de le commander :
http://editionslair2rien.wordpress.com/