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MB&P : Music Books And Poems - Page 194

  • Albums & Book Review : « The Art of the Demo » by Cheval Blanc. « Collège » by Jérôme-David Suzat-Plessy, éditions Bruit Blanc, 2012.

    Il est des rencontres fortuites qui vous plongent dans un état particulier. Sans que vous sachiez vraiment l'expliquer, vous avez l'impression qu'elle était inévitable, indispensable, comme un "déjà-là" et qu'elle ne pourra plus vous quitter.

    Une compagnie précieuse qui fait irruption dans votre vie, rare, inestimable, tellement précieuse et familière, tellement fragile et indissociable de votre intimité que vous hésitez à la partager.

    L’œuvre de Cheval Blanc (projet solo de Jérôme-David Suzat) est de l'ordre de ces rencontres qui, instantanément, entrent en résonance avec ce qui vous constitue au plus profond et que vous ignorez. Un autre vous-même.

    Je ne connais rien de la vie d'homme de cet artiste. Cela n'a aucune importance. Cela n'est d'aucun intérêt.

    Par contre, ce que je sais de son œuvre, c'est qu'elle constitue l'une des plus belles découvertes de ces dernières années dans les sentes musicales que je parcours.

    Rencontre irrémédiable, définitive, radicale, de l'ordre du tout ou rien. Écouter Cheval Blanc est une épreuve parce qu'il ne peut y avoir de demi-mesure. Adhérer, être conquis ou rejeter, ne pas vouloir entendre ce qui dérange.

    L’œuvre de Cheval Blanc est une alchimie quasi miraculeuse.

    Entre cette voix fragile et pourtant si puissante dans sa capacité expressive, à la limite de la fêlure et de la brisure, à la lisière des forêts sombres qui nous hantent.

    Entre ces textes où rythme et sonorité sont tout aussi importants que sens et lyrisme, où vous croyez entendre le souffle de l'auteur jaillir, fulgurant.

    Entre des compositions – omniprésence du piano - qui démontrent que le dépouillé génère beaucoup plus d'émotions que la profusion d'arrangements et la sophistication technologique.

    Et puis il y a le son de « The Art of the Demo ». Ce son artisanal qui justement apporte la couleur nécessaire, indispensable pour créer cet ensemble unique, cette ode viscérale. J'ose même affirmer que, sans ce son, l’œuvre de Cheval Blanc n'aurait pas la même portée, la même puissance évocatrice. A se fondre dans les productions actuelles, elle aurait tout y à perdre.

    Je crois avoir lu, dans l'une des rares interviews disponibles de Cheval Blanc, qu'il avait envisagé d'interpréter des chansons avec un quatuor à cordes. Pourquoi pas, mais alors je l'imagine avec l'intensité d'un jeu de cordes comparable à celui de Casals dans les Suites de Bach.

    Intensité justement de la première chanson qui ouvre le troisième opus au titre "Rouge" chargé de symbolique.

    « Il faut écrire lentement le nom des gens que l'on aime », c'est ainsi que débute « Le poème lent », titre peut-être le plus intense grâce à la maîtrise de la durée, à la lenteur instaurée entre notes du piano et chant.

    Tel un danseur qui, par les variations du mouvement, crée des ruptures dans l'espace-temps, Cheval Blanc nous transporte, dès les premières notes et mots chantés, dans son univers où l'amour, la nostalgie, la souffrance, la passion, la mélancolie mais aussi l'élégance occupent cette place particulière qui suspend le temps.

    Temps de l'amour, temps de la perte déjà-là, irrémédiable.

    Et si Cheval Blanc nous capture, nous saisit, nous happe, ce n'est pas seulement grâce à ses textes. C'est aussi parce que sa voix, sa diction, son phrasé se marient parfaitement aux musiques qui portent ses paroles, épousent la chair de ses mots. Quoi qu'il pense de sa voix et de sa justesse, aucun doute permis. Cette voix qui incarne l'essence de ses textes ne peut qu'être.

    Il y a une musicalité étonnante dans le travail de Cheval Blanc, musicalité de la langue - cet homme aime les mots - qui en fait, sans aucun doute, l'un des auteurs-compositeurs interprètes incontournables de ces dernières années. Méconnu du grand public tel un Marcel Kanche mais indispensable.

    Et puis, il y a aussi ce sens de la mélopée, cette linéarité comme dans « I love you so much » ou bien encore dans "du Chaoos". Magistral.

    Musicalité des textes, souffle rythmique, notables aussi dans son recueil « Collège » publié chez le même éditeur Bruit Blanc dont il convient de souligner la qualité du travail éditorial.

    Ces qualités, ces fulgurances, nous les avions déjà découvertes dans des chansons magnifiques de ses deux précédents EP : « Ma ville », « A la mort du monde », « Les amants morts », « La révolution est un jeu d'enfant » et bien d'autres.

    Si Cheval Blanc est un habile artisan de la mélodie – il n ' y a qu'à écouter « Alcool », il est aussi fort habile pour insérer de petites touches à ses chansons qui donnent cette coloration particulière : les voix sur « Garce ! » ou « L’assassin » par exemple.

    Il y a aussi, comment trouver les mots, comme une délicate fraîcheur, une douce brise d'adolescence, un romantisme dont on avait oublié les envolées, une incandescence dans ses chansons et poèmes.

    Cheval Blanc nous conduit vers des contrées inestimables. Enfermés dans nos vies de cellophane aseptisées, nous avions presque oublié que nos existences étaient habitées par l'amour et la passion. Un cortège d'espoir, de plaisirs et de désir. Un cortège de peurs, de souffrances et de désespoir aussi.

    Et cela fait un bien infini.

    C'est certain, Cheval Blanc est condamné. Condamné à nous offrir une nouvelle suite à « The Art Of The Demo #3».

    L'album et les deux EP sont en en écoute et en vente ici :

    EP Révélations

    EP Révolutions

    Album Rouge

    Le recueil de poèmes « Collège » est disponible ici :

    Collège

  • Song of the Day : "The Bird" by Kathryn Joseph

    De Glasgow nous parviennent ces notes de piano et cette voix si particulière. Dix titres qu'il faut prendre le temps d'apprécier dans leur robe dépouillée de tout ornement inutile.

    Limpide, sombre et hanté.

    Chanson extraite de l'album "Bones You Have thrown me and blood i've spilled".

     

  • Books Review : « Les Déroutées » by Christel Delcamp, Éditions L'Air2rien, 2014.

    couv-dc3a9routc3a9es.png?w=357&h=503Est-ce qu'un temps vient où les prières ne suffisent plus ?
    Est-ce qu'un temps vient où la route s'impose ?

    Probablement, à la lecture de ce second roman de Christel Delcamp. La route s'impose lorsque des circonstances extrêmes font que des êtres n'ont d'autre choix que d'emprunter une voie nouvelle et incertaine, parsemée de souffrances, de brisures, d'espoir et de renaissance.
    Un auteur qui fait dire par l'intermédiaire de ses personnages des vers de Guillaume Appolinaire, d'Arthur Rimbaud, d'Anna de Noailles ou bien de Pierre Reverdy ne pouvait me laisser indifférent.
    Et c'est bien ce texte de Reverdy, magnifique de surcroît dans sa rythmique, sa sonorité, son écriture, sa profondeur et ce qu'il exprime sur la condition d'un être humain, qui constitue - peut-être même à l'insu de cette jeune romancière, la pierre angulaire de son roman.
    Texte qui constitue donc la pierre angulaire du personnage central et superbe d'Hélène, cette grand-mère, cette mère, cette femme qui porte, pour reprendre les vers de Reverdy, « caché au plus haut des entrailles,
    A la place où la foudre a frappé trop souvent,
    Un cœur où chaque mot a laissé son entaille,
    Et d'où sa [ma] vie s'égoutte au moindre mouvement ».

    Personnage à la destinée toujours traversée par l'amour et la perte. Personnage qui, lors de l'irruption de la poésie dans son existence, connaîtra une révélation. Personnage à qui l'écriture s'imposera irrémédiablement.
    Une femme qui, si elle existait, donnerait sans aucun doute envie de panser ses blessures. Une femme que l'on souhaiterait chérir tendrement et accompagner jusqu'à ses derniers instants. Une femme à qui l'on voudrait dire qu'elle est une belle personne.
    Et c'est là que réside la réussite de Christel Delcamp : nous faire plonger dans les profondeurs de ses personnages principaux, nous les faire aimer parce qu'elle les aime. Coco, petite fille qui répète « chui pas une poupée ». Doris, sa mère, écorchée vive par la vie. Hélène, mère et grand-mère, qui ira jusqu'au bout de la route pour signifier, dans un don ultime, combien elle aime sa fille et sa petite-fille.

    Bien sûr, je peux vous apparaître dithyrambique alors, parce que je n'ai pas l'habitude ici de la flagornerie,je ne vous cacherai pas que ce livre a quelques faiblesses – de mon point de vue et avec tout le respect dû à l'auteure – qui sont probablement dues au fait que les premiers chapitres auraient pu appeler une épure, dans certains dialogues notamment. Cela n'aurait modifié en rien ni la qualité de l'intrigue ni la progression du livre.
    Mais, au-delà de ce léger regret, force est de constater que, dès que ces trois femmes prennent la route, ce roman fonctionne parfaitement et nous entraîne jusqu'au bout (j'ai eu le malheur ou le bonheur de prêter mon exemplaire que j'avais débuté et il me fut impossible de le récupérer avant que la lecture en soit achevée).
    Il y a chez Christel Delcamp des qualités indéniables : une sensibilité dans l'écriture, une sensualité, un rapport aux éléments naturels (l'eau présente : aussi bien avec celle du trou d'eau où saute Coco, celle du lac et de l'océan où se baigne Doris, la forêt, les pins...), un rythme, un sens de la formule, de la phrase et une réelle capacité à rendre ses personnages présents – y compris lorsqu'ils sont les plus abjects.
    Il y a aussi des moments où elle sait introduire la légèreté nécessaire alors même que les scènes sont des plus terribles : ainsi celle de Coco et du Scorpion ou bien encore celle où Doris subit un viol.
    Ses ruptures de style d'écriture viennent parfaitement au service du cheminement de ses personnages comme dans la lettre d'Hélène à sa petite-fille. Nous oserions même dire que, plus son roman progresse, plus son style devient intéressant, comme si l'auteure était transformée par ses personnages.

    Il y a de fort belles trouvailles – les carpes par exemple. Et puis au détour de certaines pages, il y a des phrases qui disent tout, comme cela, simplement, posées comme des perles de rosée au petit matin, des éclairs fulgurants et bouleversants de légèreté et de profondeur :
    « Étendre, lisser, habiter dans un monde sans faux pli, un monde étincelant où présidait l'ordre. Se tenir à la périphérie et agencer les jours comme ils doivent l'être si l'on veut tenir debout. »
    « Elle l'épiait à travers les peluches que laissait le chiffon sur les vitres . De cette manière, dans la douceur des minuscules traînées cotonneuses, la silhouette apparaissait moins aiguë. Doris n'avait jamais regardé son père autrement qu'à travers des filtres. »

    Christel Delcamp n'a pas pour prétention de bouleverser le paysage littéraire mais elle réussit parfaitement à nous captiver et à nous toucher. Parce qu'elle nous dit quelque chose sur notre monde et sur nos existences, c'est déjà beaucoup et c'est bien comme ça.
    Espérons que ce roman publié par un éditeur associatif pourra bénéficier d'une diffusion aussi large que bien des livres de « grandes maisons » qui n'en ont pas toujours les mêmes qualités.

    Un recueil de nouvelles, un troisième roman et un roman graphique seraient en préparation, alors nous ne pouvons que lui souhaiter de poursuivre son chemin. Peut-être sera-t-il semé d'embûches, de déceptions et de doutes mais tout comme les sentiers de montagne, nous savons qu'il l'emmènera vers de belles contrées.

    Vous pouvez vous procurer le livre ici ou mieux encore recommander à votre libraire de le commander :
    http://editionslair2rien.wordpress.com/