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Alors, j'ai décidé de partager cet été des livres qui ne sont plus d'actualité.
Des livres à relire ou à découvrir, installé confortablement dans une chaise longue sous l'ombre protectrice d'un mûrier.
Des livres qui furent des compagnons reposants ou bouleversants.
Évidemment, je suis bien conscient de ne pas participer à ce torrent continu et entretenu par blogs et pages diverses : le dernier paru, le dernier entendu, celui qu'on a lu ou entendu et qui va prochainement paraître.
Non, dans ce flot incessant auquel je contribue aussi, j'ai décidé d'inscrire une pause, d'introduire de la lenteur, d'étirer le temps, d'insérer l'attente.
Mon premier choix, traduit de l'italien, débute ainsi :
" Il n'est pas dit que Kublai Khan croit à tout ce que Marco Polo lui raconte [...]".
Ce texte est l'un des plus remarquables que je connaisse sur la ville.
Ce livre s'intitule "Les villes invisibles" et l'auteur en est Italo Calvino.
Un autre jour, peut-être, je vous reparlerai de ses romans et de ses essais tels ceux réunis dans "La Machine Littérature". Aujourd'hui, pas de vignettes, pas de photos, pas de liens. Ceux qui le voudront n'auront aucun mal à le trouver. Je l'espère en tout cas.
Les villes invisibles. Italo Calvino (traduction par Jean Thibaudeau), Edtions du Seuil, 1974. Disponible en poche (Folio, Gallimard).
Ce premier roman de Peter Heller a été publié chez Actes Sud en 2013. Traduit de l'anglais (USA) par Céline Leroy, c'est un superbe récit. Il y a un monde dévasté par une épidémie et deux hommes qui survivent sur un aéroport. Il y a Hig et son chien, chargé de surveiller le "périmètre" à bord de la "Bête", un avion de 1956, et amateur de poésie. Il y a Bangley qui, méthodiquement, élimine tout survivant susceptible de menacer leur sécurité. Il y a des rivières où les truites ont disparu. Il y a des montages et des forêts où peut-être vit encore un élan. Il y a le souvenir indélébile des êtres aimés qui ont disparu. Il y a l'envie d'aller au-delà pour ne pas renoncer à l'espoir. Il y a un livre captivant du début à la fin.
« Le restaurant de l'amour retrouvé » de OGAWA Ito, éditions Philippe Picquier, 2013. Traduit du japonais par Myriam Dartois-Ako.
Ceux qui ont lu mes petites chroniques parues sur une autre page savent que la littérature japonaise y fait de fréquentes apparitions. Une fois de plus, je ne résiste pas. Mais, comme bien souvent, je ne vous dévoilerai presque rien de la trame de ce livre. Non, il vous appartiendra de la découvrir en étant patient car vous ne comprendrez certains points de cette histoire merveilleuse que dans les dernières pages. Sachez seulement qu'il y est question d'amour et de cuisine, qu'on y rencontre une jeune fille qui perd la parole et crée son restaurant, un cochon appelé Hermès, des épices, des navets, du carpaccio d'huîtres et d'amadai, un bar appelé Amour, un Papy hibou et encore tant de fantaisies. Le gourmand que je suis s'est régalé. Parce que cuisiner rime ici avec sensualité, poésie, don et partage. Écrit dans un style limpide, ce roman dépeint avec délicatesse les sentiments de son personnage central. Un livre sur les apparences, sur ce que l'on croit des autres et ce qu'il nous laisse croire d'eux. Un merveilleux livre.
Coïncidence, cette auteure collabore aussi à un projet musical Fairlife.
Le 28 juin 1914, l’archiduc François-Ferdinand de Habsbourg tombait sous les balles de Gavrilo Princip à Sarajevo. C'est à partir de cet événement qu'est construit le récit de Velibor Čolić. Mais, contrairement à ce que l'on pourrait craindre, ce livre n'a pas la lourdeur fréquente des romans historiques car ce n'en est pas vraiment un.
Truculent, habilement composé de plusieurs récits, croisant les histoires de multiples personnages, cet ouvrage s'apparente plus à un formidable livre de contes ou de légendes qui nous fait voyager à travers l'histoire, souvent tragique, de Sarajevo et des Balkans. Écrites dans un style savoureux, les histoires des différents personnages et des monuments sont passionnantes et bien souvent dramatiques comme celle de Vittek, maître d'échecs et architecte du bâtiment du Conseil à la fin du XIXe, qui mourra dans un hôpital psychiatrique. Et des histoires, il y en a bien d'autres : de celle du curé qui connut la luxure à celle de l'homme qui avait peur de sa femme à la langue de serpent.
Outre son écriture parfois poétique et sa construction habile, l'intelligence de ce livre est de nous plonger avec légèreté dans l'histoire de la Bosnie et de Sarajevo, la ville aux cent vingt minarets et aux clochers à bulbes byzantins.
L'intégralité des recueils de poèmes publiés par Roger Kowalski, mort à l'âge de 41 ans, est réunie dans ce volume édité par Le Cherche Midi en 2010. Elle est précédée de deux textes du poète dont le premier, magnifique, sur son entrée en écriture : « Naissance de l'écriture ». Le second « Prière d’insérer » s'achève ainsi :
« Convenons enfin que ces poèmes doivent être lus comme des poèmes, c'est-à-dire avec une courageuse simplicité. »
Je laisse à d'autres, bien plus érudits que moi, le soin de commenter ou d'analyser la poésie de Roger Kowalski. Ce qui, dès le premier texte lu, m'a frappé est l'extrême musicalité de l'écriture de Kowalski, son extraordinaire pouvoir de vous entraîner à dire le texte, à l'éprouver dans son rythme, son souffle, sa limpidité et sa précision.
La poésie de Kowalski est de celle qui, non seulement provoque une multitude d'images, de sensations et de sens, mais vous surprend à entendre votre voix dire celle d'un autre jusqu'à ce qu'elles se fondent en une autre voix, inconnue mais tellement familière, unique, essentielle.
« Garde mémoire de mes os : ils sont la trop parfaite image de qui je fus. »
Pour ceux qui souhaiteraient consulter des articles consacrés à cet auteur, je vous recommande les sites suivants :
solko où est présenté l'article de Pierre Perrin, paru en 2001 dans le numéro 557 de la NRF ;
Books :"Yamabuki" by Aki Shimazaki, Actes Sud, 2014.
Avec ce livre se clôt le second cycle romanesque d'Aki Shimazaki : "Au coeur du Yamato". Comme le précédent "Le poids des secrets", cinq courts romans le composent. D'une grande sobriété, épurée parfois à l'extrême, l'écriture de cette auteure nous plonge dans l'intimité d'Aiko qui eut le coup de foudre pour son mari Tsuyoshi Toda dans un train. Plus d'un demi-siècle s'est écoulé et Aiko est toujours auprès de son samurai. L'ouverture du roman - les trois premières pages, trouvera son explication et sa conclusion dans les 4 dernières pages, sans doute les plus belles et les plus émouvantes du livre. Outre le style et le propos d'Aki Shimazaki, c'est aussi la construction de ses cinq romans qui est admirable. Chacun constitue un élément indissociable d'un ensemble plus vaste, si bien que lorsque l'on achève la lecture de la dernière histoire du cycle, la nécessité de relire l'ensemble s'impose. Il y a une grande légèreté chez cette auteure, une capacité à lier l'intime, le singulier, l'histoire individuelle et l'histoire d'un pays, à petites touches.
Légèreté comme une aquarelle ou comme le mouvement d'un pinceau traçant un kanji.
Comment convaincre de lire un roman ? En vous promettant seulement que vous ne sortirez pas indemnes de celui-ci. Sombre, dur, poétique, magnifiquement écrit et traduit, ce livre offre des instants où l'on comprend que la littérature nous dit bien plus de choses sur le monde où nous vivons que peut nous en dire bien souvent la science – ne croyez pas pour autant que je suis un opposant au travail scientifique !
Hansen, c'est le nom laissé par un médecin norvégien à une maladie et au bacille responsable de celle-ci, redoutée, incurable pendant longtemps et responsable du rejet de ceux qui en sont les victimes : la lèpre.
« Les enfants de Hansen » nous plonge dans la vie, les tourments, les espoirs d'hommes et de femmes vivant dans l'une des dernières léproseries d'Europe située en Roumanie à la période où le régime de Ceaucescu va s'effondrer. Servi par une intrigue et des personnages passionnants, ce livre est bouleversant, dur, à la limite de l'insoutenable parfois. Des scènes sont tout simplement extraordinaires à la fois par leur comique quasiment absurde mais aussi par leur tragique – celle où un lépreux court vers la foule en chantant par exemple. On pourrait y voir une métaphore du régime de Ceaucescu et de sa chute mais il s'agit bien plus que cela, ce livre nous parle de notre condition. Pour autant, l'espoir et la lumière ne sont pas absents de ce roman. A vous de les découvrir en le lisant !
« Les enfants de Hansen » de Ognjen Spahić, éditions Gaïa, Traduit du monténégrin par Mireille Robin et Alain Cappon, 2006.
Il est des rencontres fortuites qui vous plongent dans un état particulier. Sans que vous sachiez vraiment l'expliquer, vous avez l'impression qu'elle était inévitable, indispensable, comme un "déjà-là" et qu'elle ne pourra plus vous quitter.
Une compagnie précieuse qui fait irruption dans votre vie, rare, inestimable, tellement précieuse et familière, tellement fragile et indissociable de votre intimité que vous hésitez à la partager.
L’œuvre de Cheval Blanc (projet solo de Jérôme-David Suzat) est de l'ordre de ces rencontres qui, instantanément, entrent en résonance avec ce qui vous constitue au plus profond et que vous ignorez. Un autre vous-même.
Je ne connais rien de la vie d'homme de cet artiste. Cela n'a aucune importance. Cela n'est d'aucun intérêt.
Par contre, ce que je sais de son œuvre, c'est qu'elle constitue l'une des plus belles découvertes de ces dernières années dans les sentes musicales que je parcours.
Rencontre irrémédiable, définitive, radicale, de l'ordre du tout ou rien. Écouter Cheval Blanc est une épreuve parce qu'il ne peut y avoir de demi-mesure. Adhérer, être conquis ou rejeter, ne pas vouloir entendre ce qui dérange.
L’œuvre de Cheval Blanc est une alchimie quasi miraculeuse.
Entre cette voix fragile et pourtant si puissante dans sa capacité expressive, à la limite de la fêlure et de la brisure, à la lisière des forêts sombres qui nous hantent.
Entre ces textes où rythme et sonorité sont tout aussi importants que sens et lyrisme, où vous croyez entendre le souffle de l'auteur jaillir, fulgurant.
Entre des compositions – omniprésence du piano - qui démontrent que le dépouillé génère beaucoup plus d'émotions que la profusion d'arrangements et la sophistication technologique.
Et puis il y a le son de « The Art of the Demo ». Ce son artisanal qui justement apporte la couleur nécessaire, indispensable pour créer cet ensemble unique, cette ode viscérale. J'ose même affirmer que, sans ce son, l’œuvre de Cheval Blanc n'aurait pas la même portée, la même puissance évocatrice. A se fondre dans les productions actuelles, elle aurait tout y à perdre.
Je crois avoir lu, dans l'une des rares interviews disponibles de Cheval Blanc, qu'il avait envisagé d'interpréter des chansons avec un quatuor à cordes. Pourquoi pas, mais alors je l'imagine avec l'intensité d'un jeu de cordes comparable à celui de Casals dans les Suites de Bach.
Intensité justement de la première chanson qui ouvre le troisième opus au titre "Rouge" chargé de symbolique.
« Il faut écrire lentement le nom des gens que l'on aime », c'est ainsi que débute « Le poème lent », titre peut-être le plus intense grâce à la maîtrise de la durée, à la lenteur instaurée entre notes du piano et chant.
Tel un danseur qui, par les variations du mouvement, crée des ruptures dans l'espace-temps, Cheval Blanc nous transporte, dès les premières notes et mots chantés, dans son univers où l'amour, la nostalgie, la souffrance, la passion, la mélancolie mais aussi l'élégance occupent cette place particulière qui suspend le temps.
Temps de l'amour, temps de la perte déjà-là, irrémédiable.
Et si Cheval Blanc nous capture, nous saisit, nous happe, ce n'est pas seulement grâce à ses textes. C'est aussi parce que sa voix, sa diction, son phrasé se marient parfaitement aux musiques qui portent ses paroles, épousent la chair de ses mots. Quoi qu'il pense de sa voix et de sa justesse, aucun doute permis. Cette voix qui incarne l'essence de ses textes ne peut qu'être.
Il y a une musicalité étonnante dans le travail de Cheval Blanc, musicalité de la langue - cet homme aime les mots - qui en fait, sans aucun doute, l'un des auteurs-compositeurs interprètes incontournables de ces dernières années. Méconnu du grand public tel un Marcel Kanche mais indispensable.
Et puis, il y a aussi ce sens de la mélopée, cette linéarité comme dans « I love you so much » ou bien encore dans "du Chaoos". Magistral.
Musicalité des textes, souffle rythmique, notables aussi dans son recueil « Collège » publié chez le même éditeur Bruit Blanc dont il convient de souligner la qualité du travail éditorial.
Ces qualités, ces fulgurances, nous les avions déjà découvertes dans des chansons magnifiques de ses deux précédents EP : « Ma ville », « A la mort du monde », « Les amants morts », « La révolution est un jeu d'enfant » et bien d'autres.
Si Cheval Blanc est un habile artisan de la mélodie – il n ' y a qu'à écouter « Alcool », il est aussi fort habile pour insérer de petites touches à ses chansons qui donnent cette coloration particulière : les voix sur « Garce ! » ou « L’assassin » par exemple.
Il y a aussi, comment trouver les mots, comme une délicate fraîcheur, une douce brise d'adolescence, un romantisme dont on avait oublié les envolées, une incandescence dans ses chansons et poèmes.
Cheval Blanc nous conduit vers des contrées inestimables. Enfermés dans nos vies de cellophane aseptisées, nous avions presque oublié que nos existences étaient habitées par l'amour et la passion. Un cortège d'espoir, de plaisirs et de désir. Un cortège de peurs, de souffrances et de désespoir aussi.
Et cela fait un bien infini.
C'est certain, Cheval Blanc est condamné. Condamné à nous offrir une nouvelle suite à « The Art Of The Demo #3».
L'album et les deux EP sont en en écoute et en vente ici :